Certains choix artistiques peuvent être décisifs dans une carrière, dans le bon ou le mauvais sens. Un film, réalisé en 1985, a bien failli sonner le glas des productions Disney. Ce film, c’est « Taram et le chaudron magique », OVNI parmi la longue production du célèbre studio américain.
L’histoire :
Taram est un jeune porcher qui vit dans la forêt de Prydaine avec son vieux maître Dalben. Son rêve : combattre auprès du roi et défendre le monde des armées du Maître des Ténèbres.
Un jour, Tirelire, l’unique cochon sous la responsabilité du jeune garçon, est pris de panique sans raison apparente. C’est à ce moment que Taram découvre que ce petit être rose détient le pouvoir fantastique de prédire l’avenir.
Malheureusement, ses prédictions sont de mauvais augure, car elles annoncent que le Roi Maléfique à eu connaissance d’une arme fabuleuse longtemps oubliée : le chaudron magique. Et seule Tirelire peut en indiquer la position à notre héros.
Dalben ordonne donc à Taram d’emmener le cochon, et de le cacher. Mais sa mission se solde par un échec. Au début tout du moins, mais Taram va rencontrer Eloise, princesse toujours accompagnée de sa lubiole (petite boule lumineuse et volante), Ritournel, barde jouant sur une harpe dont les cordes cassent au moindre mensonge, et bien sur Gurki, petit être étrange, lâche mais attachant !
Les quatre amis vivront de folles aventures pour enfin triompher du Seigneur des Ténèbres.
Voici la bande annonce du film, sortie à l’époque !
L’envers du décor :
Walt Disney est mort en 1966, soit une vingtaine d’année avant la création du film. Ce n’est pas un point de détail, car à ce moment là, la nouvelle génération d’animateurs œuvrant chez Disney veut imposer son travail et ses nouvelles techniques. Exit les princesses niaises et les tonnes de guimauve. L’objectif ? Rendre les films Disney plus attractifs que jamais, avec des images plus intenses, des musiques plus épiques, bref, les transformer en des films à part entière.
Le combat des générations ne dure pas car les anciens partent un à un à la retraite, laissant le champ libre à cette nouvelle génération et ses expérimentations. Vous pouvez voir sur la photo ci-contre Jay Jackson en travail préparatoire de Gurki (vous pourrez constater son jeune âge !!)
Disney ayant acquis les droits du livre « Les chroniques de Prydain » en cinq tomes, écrit par Lloyd Alexander (excellents ouvrages que je recommande vivement), décision fut prise de s’attaquer à l’un de ses volumes : « Le chaudron noir », un récit avec des personnages attachants, de vrais héros et de vrais monstres, une histoire pleine de rebondissements, épique, avec de grandes batailles ! Un projet très lourd, en somme.
Et pour tenir une charge lourde, il faut des épaules larges, ce que n’a pas l’équipe créatrice. Même s’ils font aujourd’hui partie des « Grands », ils n’étaient que les jeunes enfants de Mickey à cette époque. Pour l’anecdote, Tim Burton a travaillé sur ce film à la conception des personnages (l’une de ses planches se trouve ci-contre), mais aucun de ses monstres n’a été retenu.
La version finale du projet sort en 1985, et reste l’un des plus retentissants échecs de Walt Disney Production. En effet, le film ayant été jugé très sombre, il fut interdit aux enfants non accompagnés d’un adulte. Ça fait désordre pour un Disney ! Mais ce n’est évidemment pas la seule raison, en voici d’autres.
Tout d’abord, le film ne comporte aucune chanson ! Vous rendez-vous compte ? Même pas un sifflement, alors que l’un des personnages principaux est tout de même barde ! C’est un comble. Bien sûr, le fait que personne ne pousse la chansonnette plait à certains réfractaires des comédies musicales, mais pour la majorité du public, c’est un peu la signature Disney, celle qui dédramatise… et là, Dieu sait si le public a besoin de dédramatiser !
Car en effet, l’univers dépeint est sombre et triste, parfois même effrayant. Les décors à l’huile sont tantôt noir ébène, tantôt rouge sang, de quoi assurer de bonnes nuits de sommeil à un minot de six ans ! 😛 Regardez donc un des croquis préparatoires, ça file pas la frousse tout ça ???
Ajoutez-y de terribles dragons et une armée de zombies, et vous obtenez l’exemple parfait du dessin animé… pour adultes !
De plus, le film regorge d’erreurs d’animation. En effet, certaines nouvelles techniques sont fabuleuses (l’incrustation de fumées ou de ciel en prise de vue réelle est un procédé extrêmement nouveau et ingénieux à l’époque). Mais à coté de ça, la moindre intégration de personnages dans ce décor est plus que voyante et mal faite…
L’œuvre originelle est très peu respectée, le Prince des Ténèbres se trouvant au centre de l’intrigue. Les personnages sont taillés à la machette et deviennent translucides. Ils n’ont pas de background (comment Eloise et Ritournel ont-ils atterri dans ce cachot ? Qui sont-ils ? Et Gurki ? C’est quoi ce singeours bizarre ?), et ne parviennent pas à devenir attachants.
Tout ceci explique le peu de succès qu’a eu le long métrage à sa sortie (si peu de succès qu’on a parfois l’impression que Disney fait tout pour en oublier l’existence).
L’avis d’un enfant :
Et pourtant, c’est l’un de mes Disney préférés, et ce depuis sa sortie. Je me souviens encore de la couverture du journal de Mickey, et de l’affiche géante à l’intérieur. Je me vois découpant du carton aux ciseaux et m’en faire un heaume ou une épée magique. Je me revois, regardant les zombies, les mains sur les yeux mais les doigts ouverts.
Je me souviens de cet album Panini géant (son format était étonnamment grand), de Douchka se trémoussant dans sa petite robe accompagnée d’un danseur hystérique costumé en Taram.

En visionnant ce film, j’ai découvert une partie de moi que j’ignorais et elle était palpitante, une partie qui pouvait anéantir des vouivres tueuses ou croupir dans un cachot sombre et humide. J’ai découvert… l’héroic fantasy (la même année, j’ai lu mon premier Tolkien…) et ce fut un changement radical dans ma perception des choses. Je portais dorénavant un regard plus dur sur les choses, un regard plus adulte (évidemment, je n’étais qu’un enfant, mais j’avais ce sentiment).
Alors bien sur, aujourd’hui, je vois les défauts du film, mais je ne l’en trouve que plus attachant et le conseille à tous, petits et grands !
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